L'« engagement » de l'Algérie (septembre 1957)

Pour les combattants de l'Armée de libération nationale (ALN), l'approvisionnement en armes et en munitions est une question vitale. En décembre 1954, ils ne disposent que de 400 fusils de chasse.
En 1955, la situation n'évolue guère, car les troupes françaises présentes au Maroc et en Tunisie assurent la surveillance des frontières. Tout change en mars 1956 avec la proclamation de l'indépendance de ces deux pays. L'ALN en profite pour y installer des bases où arrivent les armes achetées à l'étranger.
Le plus difficile est de leur faire franchir la frontière, car la Marine nationale surveille étroitement la côte algérienne et le Sud saharien, très inhospitalier, est régulièrement survolé par l'aviation. Restent les frontières terrestres de l'est et de l'ouest. Le relief montagneux y est plutôt favorable à l'ALN et des bandes s'installent à cheval sur la frontière tunisienne.
En juillet 1956, elles compteront jusqu'à 1 200 hommes dont la majorité en Tunisie. En octobre 1956, le 2e bureau d'Alger estime que quatre bases sont constituées à l'est, deux à l'ouest et trois au sud du Maroc. Ce sont à la fois des centres de transit et des camps d'entraînement, des unités de guérilla et même des troupes régulières. À l'époque, les frontières sont assez perméables puisque, entre 1956 et 1957, 15 000 armes de guerre rejoignent l'Algérie à partir du Maroc et de la Tunisie.
Le commandement français comprend que pour vaincre l'Armée de libération nationale (ALN), il faut stopper les renforts venus de l'extérieur.
Le problème est que ces frontières sont très difficiles à surveiller : d'une part, elles sont très étendues et, d'autre part, elles traversent des régions montagneuses et des plateaux désertiques. De plus, il faut éviter de consacrer trop d'hommes à cette mission car, à l'intérieur de l'Algérie, l'armée doit consacrer de nombreux effectifs au quadrillage du terrain et à la pacification.
À l'origine, il n'est pas question d'établir un barrage continu, mais simplement d'affecter des détachements très mobiles à la surveillance des points de passage habituels de l'ALN. Mais cette tactique trouve rapidement ses limites et, en 1956, un réseau de barbelés de 4 m de large est établi sur la frontière marocaine. On s'aperçoit alors qu'il est impossible d'empêcher les combattants de l'ALN de passer sans tirer sur eux alors qu'ils n'ont pas encore franchi la frontière, eux-mêmes ne se gênant pas pour ouvrir le feu contre les troupes françaises depuis le territoire marocain.
Pour éviter la multiplication des incidents, le barrage est reporté de quelques kilomètres à l'intérieur. En même temps que l'on isole la frontière, on assure une meilleure protection de la voie ferrée Oran-MéchriaAïn Sefra-Colomb Béchar, qui est l'objet de nombreux sabotages.
Le barrage lui-même est renforcé par de nombreux postes de surveillance fortifiés. Des mines ancrées au sol par des plaques de béton sont mises en place. Il est impossible à l'adversaire de les relever pour les réutiliser comme l'avait fait le Việt Minh pendant la guerre d'Indochine.
Dans la région de Maghnia à la frontière marocaine, un officier du Génie, le colonel Durr, expérimente un barrage électrifié sur une dizaine de kilomètres. Le résultat est si concluant que ce type d'obstacle va devenir la norme. On aura donc un réseau trapézoïdal de barbelés à l'intérieur duquel passe un courant électrique de 2 500 volts. En arrière de ce premier obstacle, une seconde ligne électrifiée à 5 000 volts précède un fouillis de barbelés, lui-même suivi d'un champ de mines et de piquets métalliques « tapis de fakir ». C'est du moins ce qu'on montre aux journalistes car, en 1956, le barrage est loin d'être terminé, Il faudra attendre le 15 septembre 1957 pour que les 900 km de la frontière ouest soient efficacement protégés108.
À l'est, la défense a longtemps reposé sur les groupes d'intervention de l'armée de terre, mais le développement de l'activité de l'ALN en Tunisie va bientôt imposer la construction d'un barrage similaire. La Tunisie est en effet dans une situation géographique encore plus favorable que le Maroc, puisque les armes que l'ALN achète à l'étranger transitent librement par la Libye. Comme à l'ouest, le barrage permettra de protéger la voie ferrée Bône-Tébessa-Negrine.
Par une directive du 26 juin 1957, André Morice, ministre de la Défense, accorde la priorité à ce barrage en y affectant crédits et effectifs, d'importants moyens de génies venus de métropole . Le barrage électrifié jusqu'à Tébessa doit être impérativement terminé en octobre 1957 puis, le 14, la décision est prise de le prolonger jusqu'à Negrine, d'abord par un réseau non électrifié mais couplé avec une surveillance par canons assistés de radars, ce que le terrain plat et dégagé au sud rend possible.
Commencée en août 1957, la « Ligne Morice » à la frontière algéro-tunisienne, le réseau de la ligne est formé de 2 haies centrales de 2,40 m de hauteur en haute tension de 5 000 volts, sera déclarée opérationnelle le 15 septembre 1957, en même temps que la Ligne Pedron, nom qui a été donné au barrage ouest à la frontière marocaine. Il ne s'agit pas d'un obstacle infranchissable, mais les militaires l'apprécient car il représente pour eux une alarme signalant et localisant un franchissement. Les troupes interviennent alors avec éventuellement l'appui des blindés et de l'aviation. En arrière de la piste technique permettant aux électromécaniciens d'entretenir et de réparer la haie électrifiée, court une piste tactique destinée à la circulation rapide des blindés de surveillance. Les hommes surnommeront rapidement ce dispositif la « herse ». Et comme l'importance de la Ligne Morice est vitale, un second barrage est établi à la frontière marocaine à partir de la fin 1958. Il renforce la « Ligne Morice » en avant de laquelle il est installé108.

Commentaires