Devant la guerre d'Algérie, les intellectuels français sont partagés.
Albert Camus, prix Nobel, lance à Alger, le 22 janvier 1956, L'Appel pour une Trêve Civile, tandis que dehors sont proférées à son encontre des menaces de mort. Son plaidoyer pacifique pour une solution équitable du conflit est alors très mal compris, ce qui lui vaudra de rester méconnu de son vivant par ses compatriotes pieds-noirs en Algérie puis, après l'indépendance, par les Algériens qui lui ont reproché de ne pas avoir milité pour cette indépendance. Haï par les défenseurs du colonialisme français, il sera forcé de partir d'Alger sous protection257. Il s'efforça toujours de rester entre deux extrêmes dénonçant l'injustice faite aux musulmans d'un côté, tout en déniant la caricature du « pied noir exploiteur » de l'autre.
L'histoire retient cette déclaration faite au lendemain de son obtention du prix Nobel de Littérature : « J'ai toujours condamné la terreur, je dois aussi condamner un terrorisme qui s'exerce aveuglement dans les rues d'Alger et qui peut un jour frapper ma mère ou ma famille. Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice »258 Camus proclame sa fidélité à l'« Algérie française » et doute de l’Algérie algérienne259.
En septembre 1960 le Manifeste des 121, titré « Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie », est signé par des intellectuels, universitaires et artistes et publié dans le magazine Vérité-Liberté. Il est né dans le sillage du groupe de la rue Saint-Benoît. Il a été pensé puis rédigé par Dionys Mascolo et Maurice Blanchot. Ce traité a permis de regrouper des personnalités de divers horizons dans un esprit libertaire et orienté à gauche.
Jean-Paul Sartre, signataires du Manifeste des 121, est également un soutien de poids des membres du Réseau Jeanson lors de leur procès en septembre 1960. Il rédigea la préface de l'essai Les Damnés de la Terre » de Frantz Fanon et se prononça clairement pour l'indépendance de l'Algérie. Dans cette célèbre préface, il va jusqu'à écrire : « il faut tuer : abattre un Européen c'est faire d'une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé : restent un homme mort et un homme libre ; le survivant... »261. Son appartement sera plastiqué deux fois par l'OAS
Ce texte provoqua rapidement un contre-manifeste, le Manifeste des intellectuels français pour la résistance à l'abandon, paru en octobre 1960 dans l'hebdomadaire Carrefour, dénonçant l'appui apporté au FLN par les signataires du Manifeste des 121 - ces « professeurs de trahison » - et défendant l'Algérie française. Il soutient l'action de la France et de l'armée en Algérie (« L'action de la France consiste, en fait comme en principe, à sauvegarder en Algérie les libertés (...) contre l'installation par la terreur d'un régime de dictature »), taxe le FLN de « minorité de rebelles fanatiques, terroristes et racistes » et dénie « aux apologistes de la désertion le droit de se poser en représentants de l'intelligence française ». Ce contre-manifeste bénéficie de soutiens plus nombreux262.
Certains intellectuels, tels Francis Jeanson, mettent en pratique leurs idéaux anticolonialistes en transportant des fonds à destination du FLN. Reconnu coupable de haute trahison, celui-ci sera condamné en octobre 1960 à dix ans de réclusion.
Pour Edgar Morin, qui anima un comité contre la guerre d'Algérie et défendit Messali Hadj, une partie de la gauche française pensait avec Les Temps modernes « que le FLN était l'avant-garde de la révolution mondiale. Il y avait bel et bien une mythologie du FLN et celle-ci écartait tous les éléments gênants qui pouvaient la contredire »263
Frantz Fanon, un psychiatre né à la Martinique, s'engage auprès des indépendantistes algériens dès le début de la guerre d'Algérie, en 1954, et noue des contacts avec certains officiers de l'ALN (Armée de libération nationale) ainsi qu'avec la direction politique du FLN, Ramdane Abane et Benyoucef Benkhedda en particulier. Il théorisa la terreur comme tactique révolutionnaire à travers son livre, Les damnés de la terre publié en 1961 et qui deviendra plus tard la bible de tous les mouvements révolutionnaires264. En hommage à son soutien à la cause algérienne, deux hôpitaux en Algérie, l'hôpital psychiatrique de Blida, où il a travaillé, et l'hôpital de Béjaïa, portent son nom.
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