Avec le putsch des généraux, l'armée française va connaitre sa plus forte crise de conscience. Après l'opération avortée du 10 décembre 1960 qui visait à faire basculer l'armée dans un anti-gaullisme intransigeant, l'insurrection d'avril 1961 de quatre généraux (Maurice Challe, Edmond Jouhaud, Raoul Salan et André Zeller) a tenu le monde en haleine pendant quatorze jours.
Le , par un référendum sur l'autodétermination en Algérie organisé en métropole et en Algérie, les électeurs s'étaient prononcés à près de 75 % en faveur de l'autodétermination. C'est alors que des négociations secrètes avaient été ouvertes entre le gouvernement français de Michel Debré et le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) lié au FLN (Front de libération nationale). Une partie des cadres de l'armée, qui avaient mené sept années de durs combats sous la direction de plusieurs gouvernements depuis le début de la guerre d'Algérie, se sentit trahie par le général de Gaulle, et voulut s'opposer par un coup de force aux projets d'indépendance de l'Algérie. Le pouvoir gaulliste était bien informé depuis plusieurs mois par la police judiciaire d'Alger et les services de renseignements des intentions de certains militaires. L'année précédente, le 25 janvier 1960, pendant la semaine des barricades, le colonel Antoine Argoud s'était même entretenu avec Michel Debré pour demander un changement de politique, faute de quoi « une junte de colonels » renverserait le gouvernement pour maintenir l'Algérie comme territoire français. La tension étant montée tout au long de l'année 1960, une possibilité de coup d'État est alors dans tous les esprits, en particulier au printemps 1961.
Le putsch
Dans la nuit du 21 au 22 avril 1961, des unités de parachutistes, dirigés par les généraux Challe, Jouhaud, Salan et Zeller s'emparent des centres stratégiques d'Alger. À leurs côtés se trouve une équipe de colonels baroudeurs, pour la plupart anciens d'Indochine. Par ce coup de force, ils entendent tenir le serment fait par l'armée, de garder l'Algérie à la France.
Grâce à l'effet de surprise, le putsch semble avoir parfaitement réussi à Alger. La radio, rebaptisée Radio France, diffuse des communiqués de victoire et des appels au ralliement. Cependant, les directeurs de service de la délégation générale, représentants de l'autorité officielle en Algérie, ne sont pas ralliés et les soutiens attendus des forces armées du Constantinois, de la Kabylie et de Oranais ne sont pas au rendez-vous.
En métropole, c'est le désarroi. Le renom des chefs des insurgés, la qualité des unités putschistes, la réussite apparente de l'opération témoignent de la gravité des événements. Le régime issu du coup d'État du 13 mai 1958 va-t-il être chassé par un coup d'État militaire? Le gouvernement est surpris par le déclenchement de l'opération. Certes, dès le 22 avril au matin, la branche parisienne du putsch est écrasée par une dizaine d'arrestations. Lors d'un Conseil des ministres extraordinaire, de Gaulle fait preuve de détermination. L'état d'urgence est proclamé.
Mais, au cours de la journée du dimanche , 23 avril, l'inquiétude s'accroît. L'attentisme est de rigueur. Le refus d'affrontement risque de tourner à l'avantage des putschistes.
De Gaulle décide d'intervenir à la télévision le soir même, à 20 heures. Il est en uniforme, il stigmatise un « quarteron de généraux en retraite », qu'il rend par avance responsables d'un éventuel drame national. Il délie les soldats de leur serment d'obéissance et annonce le recours à l'article 16. Solennellement, le Général demande leur aide aux Français. « Au nom de la France, j'ordonne que tous les moyens, je dis tous les moyens, soient employés pour barrer partout la route à ces hommes-là, en attendant de les réduire. J'interdis à tout Français et, d'abord, à tous les soldats, d'exécuter aucun de leurs.»
À 23 heures 45, c'est le Premier ministre, Michel Debré, qui appelle les Français à résister dans l'éventualité d'une opération aéroportée en métropole.
Le mouvement s'effrite. Le trouble est profond chez les officiers. Les putschistes sont accusés de diviser l'armée.
Surtout, le contingent affirme son opposition. La résistance, passive et spontanée, constitue un sérieux revers. Malgré une manifestation de masse dans le centre d'Alger où le général Salan répète son serment de garder « l'Algérie à la France », le vent a tourné. Challe, convaincu de l'échec, est soucieux de mettre fin à l'affaire, d'autres sont tentés par la radicalisation et poussent le général Salan à prendre les commandes.
Mardi 25 avril au matin. La situation s'est encore aggravée pour les insurgés. Les défections se sont multipliées et le pouvoir central a repris l'offensive. Challe veut se rendre. Jouhaud et Salan veulent continuer. À 20 heures, les quatre généraux lancent un appel à la population d'Algérie.
Dans la soirée, la dramatisation est à son comble. Plusieurs milliers d'Algérois convergent au Forum aux cris d'« Algérie française ». À minuit et demi, Challe apparait pour la dernière fois au balcon du gouvernement général et veut parler : le micro ne fonctionne pas. Vers 1 h 50, les quatre généraux s'égaillent : Zeller disparaît dans la foule. Salan, Jouhaud et Challe rejoignent le PC du 1er REP. Jouhaud et Salan décident de fuir, Challe est conduit à Paris le mercredi 26 avril. L'insurrection a pris fin en quatre jours.
La révolte d'avril 1961 est bien un putsch. : à la fois coup de force et entreprise militaire. Cette insurrection d'une partie de l'armée a constitué l'une des rares tentatives d'intervention de l'armée dans la politique que la France ait connues. La rupture entre une armée de plus en plus éloignée et ignorante des réalités de la France, en raison de son engagement dans les guerres de décolonisation, et la nation en pleine évolution, se manifeste à cette occasion.
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