Bataille d'Alger (7 janvier - 24 septembre 1957)
La Casbah, le maquis urbain
Depuis 1954, accrochages et embuscades se succèdent dans le bled. L'attention se focalise sur les campagnes, notamment dans les Aurès et la Kabylie. Mais à partir de 1956, la direction du FLN s'oriente vers l'offensive urbaine et décide de faire de la capitale le théâtre d'une épreuve de force. Le but est de frapper au cœur de l'appareil colonial, de manière beaucoup plus spectaculaire. Il s'agit de démontrer la force du FLN aussi bien aux yeux de l'opinion publique française que de celle des pays étrangers. Les chefs nationalistes : Ramdane Abane, Krim Belkacem, Larbi Ben M'Hidi, Saad Dahlab et Benyoucef Benkhedda, s'installent donc clandestinement dans la Casbah d'Alger. Les cinq hommes créent la Zone autonome d'Alger (ZAA) et commencent par se répartir les tâches de la façon suivante : Ben Khedda se réserve les contacts avec les Européens et la direction de la nouvelle zone autonome d'Alger, détachée désormais de la wilaya IV, Dahlab, la propagande et la direction du journal El Moudjahid, Ben M'Hidi choisit d'être responsable de l'action armée à Alger (il est donc le supérieur direct de Yacef Saadi), Krim Belkacem s'attribue les liaisons avec toutes les wilayas, ce qui fait de lui le chef d'état-major et le stratège de la lutte armée; Abane Ramdane enfin, devient le responsable politique et financier, c'est-à-dire, en fait, le no 1 en dépit de la collégialité voulue par les « cinq »102.
Alger, capitale de l'Algérie, vaste agglomération de près de un million d'habitants, est en effet le symbole de la réussite française en Algérie. Centre nerveux de l'administration, elle est la principale place des affaires, le premier port, le plus grand aéroport. Surtout, elle abrite une partie importante des Français d'Algérie. Et c'est là que la presse française et internationale vient chercher ses informations. La ville symbolise aussi la situation du pays. Quoique française dans sa majorité Alger a toujours conservé un quartier « arabe », la célèbre Casbah. De plus, l'explosion démographique qui touche la population musulmane a entraîné l'installation, à la périphérie, de masses croissantes de prolétaires qui peuplent les bidonvilles.
Le dispositif du FLN repose sur un petit nombre de militants plus de 2000 à peu près qui ont su tisser, par la conviction ou la peur, un vaste réseau de soutiens et de complicités. Un groupe qu'on appelle « réseau bombes » chargé de la fabrication de bombes préréglées (dites « à retardement ») est mis sur pied. Pour les poser, on choisit des jeunes femmes, moins susceptibles d'éveiller les soupçons et ils dépendent tous d'un autre chef algérois nommé Yacef Saadi un fils de la Casbah. Les services de police enregistrent 26 515 attentats attribués au FLN durant l'année 1956102.
Les attentats créent depuis une véritable psychose. Les engins meurtriers font blessés et morts dans toute la grande agglomération. Le FLN présente son action comme une riposte. C'est sa réponse aux premières exécutions de ses militants FLN condamnés à mort et guillotinés dans la fameuse prison Barberousse et aussi à l'attentat meurtrier de la rue de Thebes dans la Casbah le qui a tué entre 15 et 70 personnes et fait au moins 40 blessés73. Cet attentat a été perpétré par des « ultras - activistes » pieds noirs de l'Organisation de la résistance de l'Algérie française (ORAF) de La Main rouge.
Le but du FLN est de faire régner une atmosphère d'insécurité générale, en multipliant attentats individuels et poses de bombes destinées à tuer des civils européens102.
Nicole G, âgée de 10 ans et Danielle Michel-Chich, âgée de 7 ans, victimes de l'engrenage de la violence lors de l'attentat du Milk bar à Alger, perpétré par le « réseau bombes » de Yacef Saadi, la bombe est déposée par Zohra Drif le .
Au total, dans le grand Alger, le bilan officiel des attaques du FLN en quatorze mois est de 751 attentats, 314 morts et 917 blessés73.
Les paras dans la ville
Le gouvernement français décide de réagir et donne pour mission au général Massu de rétablir l'ordre. Il est fait appel à la 10e division parachutiste. Ses quatre régiments s'ajoutent aux éléments déjà sur place, notamment la police, la gendarmerie et les fantassins du 9e régiment de zouaves qui surveillent la Casbah. En tout, ils sont près de 10 000 hommes. Bien entraînés et très bien encadrés, les 4 000 paras sont spécialisés dans la lutte contre la guérilla. Leurs officiers se sentent profondément impliqués dans le conflit, très sensibles à sa dimension tant politique que militaire. Et beaucoup d'entre eux ont réfléchi aux techniques de la guerre subversive, notamment à partir de l'expérience indochinoise103.
La riposte
Le , les paras entrent dans Alger, c'est le début de la bataille d'Alger. Chaque régiment s'attribue le contrôle d'un quartier, sous l'autorité du général parachutiste Jacques Massu qui a reçu tous les pouvoirs de police sur l'ensemble de l'agglomération algéroise. Grâce au fichier des renseignements généraux, les hommes de Massu établissent des listes de « suspects » en relation avec l'organisation clandestine. Ils sont interrogés, sommés de donner le nom du collecteur de fonds du FLN auquel ils versent leur cotisation. Grâce à ces informations, les militaires remonteront ensuite vers des chefs plus importants. Par la suite, les militaires vont interpeller de plus en plus d'Algériens, du militant qui peut détenir des informations très importantes au simple sympathisant103. Les énormes opérations de contrôle effectuées quartier par quartier vont se révéler très efficaces.
En riposte, les responsables du FLN préparent une grève générale fixée au . La date coïncide avec l'ouverture, à l'assemblée générale de l'Onu, d'un débat sur la question algérienne. C'est le moment idéal pour attirer l'attention de l'opinion publique internationale. Cette grève pourrait constituer le début, ou au moins la répétition générale, d'un vaste mouvement insurrectionnel fatal à la cause française.
Pour obtenir les renseignements, l'armée française utilise interrogatoires musclés, pressions morales, menaces sur les familles. Mais, la menace des bombes pousse à exiger des réponses rapides pour prévenir de prochains attentats. Elle incite à recourir à des méthodes brutales, d'autant plus facilement que certaines officines de la police et des services de renseignements de l'armée les utilisent déjà. Simples bousculades, violences mais aussi actes de torture devant la famille de la personne impliquée font partie du quotidien. Et les erreurs sur les personnes, parfois dues à de simples homonymie, ne sont pas rares103. Le recours à la torture est très rapidement dénoncé en métropole par les plus grands organes de presse104 et par les activistes du Parti communiste français comme Henri Alleg.
Dans le même temps, les officiers s'efforcent de prendre en main la population musulmane pour l'arracher au contrôle du FLN. La Casbah est divisée en groupes d'immeubles ou « îlots » (d'où « l'ilotage » donné au système). À chacun d'eux est affecté un habitant responsable, désigné par l'autorité, et chargé de servir à la fois de relais et d'informateur103. Le quadrillage de la ville a permis également de stopper le contre-terrorisme européen73.
La défaite du FLN
Les succès obtenus sont indéniables. Le , la tentative de grève générale dite « Grève de huit jours » est brisée par des méthodes expéditives : les ouvriers et les employés sont conduits au travail sous la contrainte. Les volets des magasins demeurés fermés sont arrachés et leur contenu livré au pillage[réf. nécessaire].
Nombre de responsables FLN sont arrêtés : Larbi Ben M'Hidi le . Le , la direction du FLN (Zone autonome d'Alger), menacée elle aussi d'arrestation, doit quitter Alger pour l'étranger, avec son leader, Ramdane Abane et les autres trois nationalistes Krim Belkacem, Saad Dahlab et Benyoucef Benkhedda.
Le « réseau bombes » est aussi démantelé. De 112 en janvier, le nombre d'attentats passe à 29 en mars : le commandement français pense avoir remporté la victoire. Ce n'est pourtant qu'un répit. Le , une bombe explose près d'un arrêt de bus. Le , un attentat vise un dancing au Casino de la Corniche. Mais des opérations de « retournement » d'anciens militants du FLN sont mises en place 103.
Le , Yacef Saadi le chef du « réseau bombes » et de la guérilla urbaine est arrêté et ses derniers compagnons ont péri dans leur cache de la Casbah dynamitée par la 10e division parachutiste. Ce fait d'armes marqua la fin de la bataille d'Alger.
Au total, la « guerre urbaine » du FLN se solde par un cuisant échec. Une partie des réseaux de la Zone autonome d'Alger est démantelée. L'autre partie est forcée à rentrer dans l'ombre et pour longtemps. En , l'armée française a éliminé 1 827 combattants du FLN dont plus de 200 ont été tués, 253 arrêtés, ainsi que 322 collecteurs de fonds, 985 propagandistes, 267 membres des cellules. 812 armes ont été saisies, ainsi que 88 bombes et 200 kilos d'explosif73.
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