Exode des Pieds-noirs

Exode des Pieds-noirs

L'exode des Pieds-noirs, ou rapatriement des Français d'Algérie suivant l'appellation officielle, désigne la vague de migrations subies autour de 1962 par la communauté pied-noir des départements français d'Algérie vers la France métropolitaine. Les départements français d'Algérie constituaient alors le produit de la conquête par la France depuis 1830.
Ce déplacement de population se traduit pour les métropolitains par une « vague » massive d'arrivées en France d'avril à juillet 1962 d'Algérois, Constantinois et Oranais d'origine européenne connaissant souvent peu, voire pas du tout, la métropole. Il marque également la fin de la guerre d'Algérie et l'accession de l'Algérie à l'indépendance.
Cet exode n’est pas un déplacement volontaire : l'ALN met en place un plan consistant à faire consciemment régner la terreur parmi les Européens d'Algérie afin de les faire partir (massacre d'Oran, enlèvements, etc.)1,2. L'exode est qualifié rétrospectivement d'épuration ethnique par certains historiens.
Cet exode crée un fort ressentiment parmi les Pieds-noirs, qui reprochent au président français Charles de Gaulle de ne pas avoir honoré sa promesse de maintenir l'Algérie française et de protéger les Français d'Algérie et les harkis.


Rapatriés d'Algérie

Les rapatriés3 sont des Français d'Algérie dont les ancêtres étaient des Européens originaires de France (certains issus d'Alsace-Lorraine et installés en Algérie après l'annexion de 1871 à l'Allemagne) ainsi que d'Espagne (dont les primo-arrivants venaient de Minorque), de Malte, d'Italie, de Suisse, etc. Ils englobent de même des Algériens d'origine non-européenne (les autochtones, musulmans ou non, naturalisés Français par décret, ainsi que des juifs séfarades et berbères, naturalisés soit par le décret Crémieux de 1870, soit en 1961 pour les juifs du Mzab4).
Les rapatriés bénéficient d'un statut spécifique, institué par la loi dite « Boulin » du 26 décembre 19615 : ce statut est différent de celui des Algériens « réfugiés » tels que les harkis6.

Épuration ethnique

C'est selon un mécanisme d'épuration ethnique que les Français ont été chassés d'Algérie lors de l'indépendance1,7,8. Les représentants du FLN annoncent dès 1960 qu'« ils excluaient tout avenir pour les non musulmans »9. Ben Bella avouera trente ans après l'indépendance qu’il ne pouvai[t] concevoir une Algérie avec 1 500 000 pieds noirs1. L'ALN met en place un plan consistant à faire consciemment régner la terreur parmi les Européens d'Algérie afin de les faire partir1,2.
En 1959, les pieds-noirs étaient 1 025 000, soit 10,4 % de la population vivant en Algérie. Leur poids relatif était en baisse après un maximum atteint de 15,2 % en 1926. À la suite du massacre d'Oran, le jour de la reconnaissance de l'indépendance de l'Algérie, le 5 juillet 1962, près de 700 pieds-noirs sont assassinés au couteau, à la hache ou au rasoir en quelques heures10. Au début de l'année 1963, 200 000 Français vivent encore en Algérie ; en 1980, il n'y en a plus que quelques milliers1.
À partir de mai 1962, entre 8 000 et 10 000 Européens partent chaque jour pour la France : 350 000 en juin 1962, 120 000 en juillet  1962, 50 000 en octobre 196211.
Les Européens font l'objet d'enlèvements. Au moins 1 630 personnes enlevées et disparues sont recensées2.

Nombre de rapatriés

Au total, entre 1962 et 1965, environ un million de Français d'Algérie arrivent en France12. Seuls 400 000 rapatriés étaient initialement attendus, sur quatre années13. Parmi ces rapatriés figurent 100 000 Juifs sur une population totale de 130 000 personnes14.
Au 31 décembre 1961, 150 000 personnes avaient déjà quitté l'Algérie15. Entre janvier et avril 1962, 70 000 personnes émigrent. Le mouvement s'accélère les deux mois suivants : 80 000 personnes en mai, plus de 300 000 en juin. Il se poursuit après l'indépendance : 60 000 personnes en juillet, 40 000 en août, 70 000 de septembre à décembre 196215,16,17.
Fin 1962, il reste environ 200 000 Pieds-noirs en Algérie, qui gardent l'espoir de continuer à y vivre. Les accords d'Évian prévoyaient en effet que, pendant une période transitoire de trois ans, ils bénéficieraient de plein droit des droits civiques algériens, période à l'issue de laquelle ils auraient eu la possibilité d'opter pour la nationalité algérienne18. Mais rapidement, l'absence de reconnaissance de leur communauté et les mesures de nationalisations des exploitations agricoles19,20 sans indemnité prises en 1963 par le gouvernement algérien conduisent encore 100 000 d'entre eux à quitter l'Algérie en 1963 et 1964. Par ailleurs, la confiscation des biens qualifiés de « vacants » par le gouvernement algérien21 empêche de fait tout retour possible des rapatriés en Algérie. Ces confiscations s'exercent en violation des accords d'Évian22, sans que le gouvernement français n'intervienne[réf. nécessaire]. L'historien Guy Pervillé écrit : Les garanties aux biens reprenaient les principes fondamentaux du droit français : droit de propriété, liberté d'emporter ses biens ou de les vendre et d'en transférer le prix, pas d'expropriation sans une juste et préalable indemnité. Leur respect conditionnait le maintien de l'assistance culturelle et technique et de l'aide financière de la France à l'Algérie. Ces garanties furent très vite bafouées23.
En 2020, il est difficile de connaître le nombre exact de Pieds-noirs qui seraient présents en Algérie : en 2001, l'ambassade de France à Alger citait le chiffre de 300 personnes (avec la nationalité française) ; le diocèse catholique d'Alger avance le chiffre de 4 500 personnes, tandis que de nombreuses associations de Pieds-noirs évoquent 50 000 personnes, ou plus, rejetées et discriminés par la majorité des Pieds-noirs rapatriés en France car considérés comme des « traîtres » par ceux-ci. Enfin, le plus grand nombre de ces Pieds-noirs restés en Algérie auraient adopté la nationalité algérienne, et se considèrent comme Algériens, ce qui rend difficile toutes les estimations et statistiques.[réf. nécessaire]

Accueil et conséquences

Les principaux points de débarquement des rapatriés ont été Marseille et Nice en Provence-Alpes-Côte d'Azur, ainsi que Port-Vendres en Languedoc-Roussillon.
Leur arrivée est généralement perçue négativement et leur accueil mauvais. Ainsi, le maire socialiste de Marseille, Gaston Defferre, déclare en  : Qu'ils aillent se réadapter ailleurs24. L'organisation de leur rapatriement est plus ou moins chaotique25. Un quart des biens débarqués est volé ou endommagé26, notamment à l'initiative des dockers affiliés à la Confédération générale du travail (CGT)27,28.
Une partie des rapatriés s'installe dans les régions du Sud de la France, intensifiant la croissance démographique de celles-ci29. Le professeur Pierre Baillet indique : De 1962 à 1968, ils ont assuré 50 % de la croissance démographique de Marseille et de Perpignan, 60 % de celle de Toulon et 70 % de celle de Nice. Ils ont redonné vie à certaines régions du Sud-Ouest et du Massif central : 55 % de l'accroissement de Midi-Pyrénées et du Languedoc-Roussillon leur est imputable, 33 % de l'Aquitaine et de la Provence. Sans eux, le Limousin aurait vu sa population diminuer30.
Les rapatriés se sont souvent fixés autour des aires de débarquement, au Sud de la France, alors que les besoins en emplois étaient souvent plus présents au Nord avant la généralisation de la crise économique à partir du choc pétrolier de 1973.

Notes et références

  • Jean Sévillia, Les vérités cachées de la Guerre d'Algérie, Fayard, , 416 p. (ISBN 978-2-213-67426-1, lire en ligne [archive])

  • Jean-Jacques Jordi, Les disparus civils européens de la Guerre d'Algérie : Un silence d'Etat, Saint-Cloud, SOTECA, , 300 p. (ISBN 978-2-916385-56-3)

  • Le statut de rapatriés est créé par la loi Boulin du 26/12/1961. Il concerne également 300 000 personnes venues d'autres anciens territoires français (Shepard [2008], chap. 5).

  • Shepard [2008], chap. 9.

  • « Loi n° 61-1439 du 26 décembre 1961 relative à l'accueil et à la réinstallation des Français d'outre-me » [archive], sur legifrance.gouv.fr

  • Shepard [2008], chap. 8.

  • Raphaël Draï, Lettre au président Bouteflika sur le retour des Pieds-Noirs en Algérie, Michalon, , 141 p. (ISBN 978-2-84186-125-5, lire en ligne [archive])

  • Bernard Lugan, Histoire de l'Afrique du Nord : Des origines à nos jours, Editions du Rocher, , 736 p. (ISBN 978-2-268-08535-7, lire en ligne [archive])

  • Jean Daniel, Cet étranger qui me ressemble, Grasset, , 304 p. (ISBN 978-2-246-66749-0, lire en ligne [archive])

  • « 5 juillet 1962 : Quand l'Algérie célèbre son indépendance en oubliant totalement le massacre des Pieds-Noirs » [archive], sur Atlantico.fr (consulté le 13 août 2019)

  • Benjamin Stora, Histoire de la guerre d'Algérie (1954-1962), La Découverte, (ISBN 978-2-7071-6083-6, lire en ligne [archive])

  • « 1962-1965 : comment la France a intégré un million de rapatriés d’Algérie » [archive], sur Alternatives Economiques (consulté le 5 mars 2020)

  • https://www.ldh-toulon.net/l-arrivee-des-pieds-noirs-en.html [archive]

  • Benjamin Stora, Les trois exils, Juifs d'Algérie, Stock,

  • Pierre Daum, Ni valise ni cercueil, les Pieds-Noirs restés en Algérie après l'indépendance, Solin, Actes Sud, , p. 44

  • « Pieds-noirs, portraits d'exilés », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne [archive], consulté le 5 mars 2020)

  • « 25/06/1962 : Les Pieds-Noirs débarquent à Marseille » [archive], sur Les Echos, (consulté le 5 mars 2020)

  • « JO du 20/03/1962 » [archive], Chapitre II (De l'indépendance et de la coopération), A- (De l'indépendance de l'Algérie), II- (Des droits et libertés des personnes et de leurs garanties), 2- (Dispositions concernant les citoyens français de statut civil de droit commun), b

  • Journal officiel de la République algérienne, « décret 63-388 du 1er octobre » [archive],

  • Feuille d'avis de Neuchatel, « Après la nationalisation de fermes françaises en Algérie » [archive],

  • Journal officiel de la République algérienne, « décret 63-88 du 18 mars 1963 » [archive], , et Cour de cassation Civ. 1ère du 23 avril 1969 [archive])

  • Ceux-ci prévoient que « Les droits de propriété (des nationaux français) seront respectés. Aucune mesure de dépossession ne sera prise à leur encontre sans l'octroi d'une indemnité équitable préalablement fixée ». cf « JO du 20/03/1962 » [archive], Chapitre II (De l'indépendance et de la coopération), A- (De l'indépendance de l'Algérie), II- (Des droits et libertés des personnes et de leurs garanties), 2- (Dispositions concernant les citoyens français de statut civil de droit commun), b)

  • G. Pervillé, « Trente ans après, réflexion sur les accords d'Evian » [archive], , p. 379

  • « Marseille, 1962 : le cauchemar des rapatriés d'Algérie » [archive], sur L'Obs (consulté le 18 août 2019)

  • « 1962, les Français d'Algérie quittent leur pays natal » [archive], sur Le Huffington Post, (consulté le 18 août 2019)

  • « Les pieds-noirs, 50 ans après » [archive], sur lefigaro.fr, (consulté le 18 août 2019)

  • « Marseille, 1962 : le cauchemar des rapatriés d'Algérie » [archive], sur L'Obs (consulté le 5 mai 2020)

  • Pascal Pontolier, Au combat des peuples !, Librinova, (ISBN 979-10-262-0326-1, lire en ligne [archive])

  • P. Baillet, L'Intégration des rapatriés en France, page 312, 1975 | http://www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1975_num_30_2_15787 [archive]

    1. Cf. P. Baillet L'Intégration des rapatriés en France, page 312, 1975 |http://www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1975_num_30_2_15787 [archive]


    Bibliographie

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