Hocine Aït Ahmed (en berbère: LḤusin At Ḥmed, en arabe : حسين آيت أحمد), né le à Aït Yahia, dans l'actuelle wilaya de Tizi Ouzou, en Algérie, et mort le à Lausanne, en Suisse, est un homme politiquealgérien.
Dès l'âge de 15 ans, il rejoint le Parti du peuple algérien (PPA), dont il devint rapidement un des dirigeants les plus en vue. Membre fondateur de l'Organisation spéciale, qu'il pensa et dont il prit la direction à la mort de Mohamed Belouizdad.
C'est à ce titre qu'il présente au Comité Central du parti réuni à
Zeddine le rapport du même nom, où il démontra l'inéluctabilité de la
lutte armée et définit les meilleurs moyens pour la réussite de
celle-ci. Exilé au Caire, il fait partie des 9 dirigeants du Front de libération nationale
historique dont il sera le fer de lance de la diplomatie durant toutes
les années de lutte pour l'indépendance. Hocine Aït Ahmed démissionne du
gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) et de tous les organes du nouveau pouvoir au lendemain de l'indépendance lors de la crise dite de l'été 1962,
mais garde son mandat de député à l'Assemblée constituante où il mène
un travail acharné pour le pluralisme et la démocratie. Mis en minorité,
il crée en , le Front des forces socialistes (FFS), qui réclame le pluralisme politique face au verrouillage de la vie politique imposé par le système du Parti unique.
Arrêté et condamné à mort en 1964, il s'évade de la prison d'El-Harrach le . Exilé en Suisse, il ne retourne en Algérie qu'après les émeutes de 1988 mais quitte de nouveau son pays après l'assassinat du président Mohamed Boudiaf, en 1992.
Il revient par la suite à plusieurs reprises en Algérie, notamment à l'occasion du 50e anniversaire du déclenchement de la guerre de libération (),
et lança plusieurs initiatives politiques de sortie de crise qui seront
rejetées ou simplement ignorées par le pouvoir en place.
Biographie
Premier engagement politique et début de la lutte armée
À 16 ans, encore lycéen, il adhère au Parti du peuple algérien2.
Il devient rapidement le plus jeune membre du Comité central auquel il
présente, en 1948, un rapport décisif sur les formes et la stratégie de
la lutte armée pour l’indépendance.
Lors du congrès clandestin du PPA tenu à Belcourt (un quartier d'Alger) en 1947, il avait déjà préconisé la création d'une Organisation spéciale
(OS) chargée de la formation des cadres militaires et de la mise en
place d’un dispositif clandestin pour amorcer et développer la lutte
armée.
Désigné par le comité central du PPA au Bureau politique, il se voit confier la direction de l'OS, en remplacement de Mohamed Belouizad,
atteint de tuberculose. Durant deux ans, il a mis en place – à
l’échelle nationale – les structures pour la formation politique et
militaire pour mener à bien la guerre de libération.
C’est dans ce contexte qu’il organise le braquage de la poste d’Oran, qui permit, en , de s’emparer d’une importante somme d’argent, sans effusion de sang.
Des rumeurs disent que l'aile « légaliste » des instances dirigeantes du PPA-MTLD (Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques), exclut pour « berbérisme » Aït Ahmed et porte Ahmed Ben Bella à la tête de l’OS, dont il était le responsable en Oranie.
La découverte de l'organisation par les services de renseignement français précipite la dissolution de l'OS.
Tournée diplomatique pour une reconnaissance internationale
Le , Aït Ahmed s'installe au Caire en Égypte.
Recherché par les autorités françaises, il est désigné membre de la
délégation du PPA-MTLD, en exil au Caire. Aït Ahmed insiste sur
l'importance de la diplomatie pour donner une visibilité politique au niveau international du « mouvement de libération ».
Il assiste à la première Conférence des partis socialistes asiatiques, réunie en à Rangoun en Birmanie. L’une des premières résolutions adoptée par cette organisation d'inspiration marxiste consiste à soutenir la lutte de libération du Maghreb. La Conférence met en place un bureau anti-colonial dont le rôle, notamment, est de suivre les luttes anti-coloniales auprès de l'Organisation des Nations unies (ONU).
Aït Ahmed se rend au Pakistan, en Inde et en Indonésie pour créer des comités de soutien à la cause de l'indépendance algérienne.
La rencontre de la délégation extérieure du FLN au Caire pour les armes
En , il dirige la délégation algérienne à la conférence de Bandung.
Les résolutions prises par cette conférence en faveur du droit à
l’autodétermination et à l’indépendance des trois pays du Maghreb ont
été préparées par les trois partis nationalistes (Tunisie, Maroc, Algérie) qui ont su mener une action commune sur la base d’un « Mémorandum maghrébin ».
Délégation des principaux dirigeants du FLN (de gauche à droite : Mohamed Khider, Mostefa Lacheraf, Hocine Aït Ahmed, Mohamed Boudiaf et Ahmed Ben Bella)
après leur arrestation à la suite du détournement, le 22 octobre 1956
par l'armée française, de leur avion civil marocain, entre Rabat et
Tunis, en direction du Caire (Égypte).
En , il ouvre et dirige le bureau de la délégation du Front de libération nationale (FLN) à New York. En , le problème algérien est inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée générale des Nations unies. Ce qui provoque le retrait retentissant de la délégation française, présidée par le Premier ministre Antoine Pinay.
En , Aït Ahmed est arrêté par les autorités françaises, en compagnie de Mohamed Boudiaf, Mohamed Khider, Ahmed Ben Bella et Mostefa Lacheraf, dans l’avion qui les conduisait du Maroc à Tunis où devait se tenir une conférence maghrébine de la Paix.
Tout au long de sa détention, Aït Ahmed communique avec les dirigeants du FLN3.
Dans la plus importante de ces communications, Aït Ahmed en appelle
avec urgence à la création d’un gouvernement provisoire en exil. Il
considère que cette initiative peut contribuer à résorber la crise
interne suscitée par des responsables qui s’opposent au congrès de la Soummam (tenu en août 1956), et préparent un congrès antagoniste.
L’indépendance, lutte pour un État démocratique
Membre du Conseil national de la Révolution algérienne (CNRA) et du gouvernement provisoire de la République algérienne
(GPRA), Hocine Aït Ahmed, dès sa libération, en 1962, prend une
position ferme contre la violence de l’état-major des frontières. Il met
en garde les notables politiques contre un processus de crise qui
risque de dégénérer en guerre civile.
Aït Ahmed, opposant historique, fut le premier à proposer le
projet d’arabisation à la première Assemblée nationale algérienne, en
19624.
Il dénonce le groupe de Tlemcen et le groupe Tizi Ouzou.
Il appelle les forces d’avant-garde – femmes, syndicats, étudiants etc.
– pour faire barrage aux affrontements autodestructeurs. Les grandes
manifestations populaires au cri de « Sabaʿa snin barakat ! » (« Sept ans, ça suffit ! ») avaient pu interrompre momentanément ces violences.
Élu membre de l'Assemblée nationale constituante
(ANC) – sur une liste unique de candidats dont il dénonce le principe
–, il accepte néanmoins d’y siéger pour un double objectif. Premièrement
s’efforcer de promouvoir à partir de cette institution une vie
politique avec des débats publics en y associant la société.
Deuxièmement veiller à ce que la commission chargée d’élaborer la
constitution au sein de l’ANC termine son projet de constitution et le
soumette aux débats libres et démocratiques des « élus » de la nation.
Il fallait que l’ANC adopte le projet de constitution dans les délais
légaux afin de le soumettre au corps électoral par voie référendaire.
Création du FFS, résistance dans les maquis de Kabylie
La
préfabrication d'une Constitution dans un cinéma à Alger a dessaisi
l'Assemblée nationale constituante de sa prérogative essentielle qui est
de fonder les bases d’un État de droit.
Aït Ahmed ne s’est pas contenté de démissionner avec quelques députés
dont le président de l'Assemblée Ferhat Abbas. Il profite de la campagne publique qu’il mène contre le « coup de force constitutionnel » pour créer le Front des forces socialistes (FFS) en .
Les « Blitz Operationen », les opérations éclair déclenchées par
l’Armée et la police politique, visent à prévenir l’enracinement d’une
opposition démocratique au sein de la population. L'objectif des
troubles créés par ces opérations était de permettre le développement de
l'appareil d’oppression. La répression qui s'abat sur la Kabylie
n’épargne pas les militants politiques actifs sur l’ensemble du pays
avec pour but de présenter le FFS comme un mouvement séparatiste.
Le FFS choisit alors de créer des maquis de résistance qui se dressèrent
contre la terreur des troupes militaro policières. L'épisode de cette
révolte, dit révolte du FFS ou ce que fut communément appelé
insurrection de Kabylie durera plusieurs mois et sera conduit par Aït
Ahmed et le colonel Mohand Oulhadj5. Le bilan de la répression féroce des troupes du colonel Boumédienne s'élève à plus de 400 morts dans les rangs Kabyles6.
L’influence modératrice du FFS empêcha l'affrontement de dériver jusqu'à
une guerre civile totale et le capital politique du parti au sein de la
population se renforça.
Arrêté en , Hocine Aït Ahmed est condamné à mort, puis gracié. Il est ensuite déporté à la prison de Lambèse.
Malgré ce revers pour le FFS, le président Ahmed Ben Bella constate l'échec de la stratégie du chef d’état-major Houari Boumédiène
et de sa police politique à porter un coup d'arrêt à ce mouvement de
résistance, il décide donc d'entrer dans un processus de négociation.
À la suite de négociations menées à l’étranger, le FLN (Parti unique) et
le FFS parviennent à un accord, qui sera rendu public par la presse
nationale le .
Trois jours plus tard (le ),
le coup d'État, perpétré par Boumédiène met fin à toute possibilité de
pluralisme politique pour sauvegarder l'orthodoxie de la pensée unique.
Exil, combat pour les droits de l'homme, assassinat à Paris d'Ali Mécili
Le , Aït Ahmed s’évade de la prison d'El-Harrach, et se réfugie en Suisse. Il n'a de cesse de militer pour la promotion et la défense des droits de l’homme et pour l’unité du Maghreb.
Il obtient sa licence en droit à l'université de Lausanne en Suisse. Puis, il soutient une thèse de doctorat à l'université Nancy-II en 1975, sur Les Droits de l'homme dans la Charte et la pratique de l'OUA.
À l’occasion du « printemps berbère »
(1980), il joue avec le FFS un rôle modérateur d'encadrement politique
des militants afin d’empêcher l’irruption de la violence et d'inscrire
la revendication linguistique et culturelle dans l’exigence du
pluralisme politique, à l'intérieur de la nation algérienne.
Le , il lance avec Ahmed Ben Bella, depuis Londres,
un appel au peuple algérien pour l’instauration de la démocratie et le
respect des droits de l’homme. Les deux anciens du FLN font de la
restitution au peuple algérien de son droit à l’autodétermination la
pierre angulaire d’une « alternative démocratique ».
Le , à Paris, Ali Mécili, avocat au barreau de Paris,
figure marquante de l'opposition démocratique au régime d'Alger, bras
droit de Hocine Aït Ahmed, est assassiné. Deux mois plus tard, la police
française arrête le tueur présumé, un petit truand algérien aux ordres
de la Sécurité militaire, les services secrets de l'armée algérienne.
Mais au lieu d'être remis à la justice, il est réexpédié à Alger.
Les événements sanglants d'octobre 1988 et ses répercussions internationales poussent la dictature algérienne à un semblant d'ouverture.
Retour en Algérie et reconnaissance du FFS
Hocine
Aït Ahmed lors d'une visite officielle à l'ENIEM à Tizi Ouzou en
compagnie de Mohand Arab Tlili (directeur général), dans les années 1990
Après 23 ans d'exil, Aït Ahmed rentre en Algérie en . Après moult péripéties, le FFS est finalement reconnu.
À l’occasion de l’annulation du premier tour des élections législatives de 1991, Aït Ahmed met en garde contre le danger de voir les armes prendre le pas sur les urnes. Son parti organise, le ,
la plus grande manifestation que la capitale ait connue depuis
l’indépendance, avec pour credo « Ni État policier, ni République
intégriste ».
En , une semaine avant l’assassinat de Mohamed Boudiaf,
Aït Ahmed propose une conférence nationale destinée à promouvoir une
sortie de crise sur le modèle sud-africain.
Après l’assassinat de Boudiaf, le climat de terreur et le verrouillage
total de la vie publique s'aggravant, Aït Ahmed préfère s'exiler pour
continuer à mener son combat.
En 1995, Aït Ahmed signe à Rome, avec les représentants de six autres formations et des personnalités politiques, la plate-forme de Sant'Egidio pour la sortie de crise et pour le retour à la paix.
Les signataires du « Contrat national » dit de Rome s'entendent
sur un contrat politique constitué d'un ensemble d’engagements dont les
plus importants sont l’alternance au pouvoir, la liberté de culte, la
primauté de la loi légitime sur tout autre loi issue d'assemblées non
élues légitimement, l’égalité des citoyens sans distinction d’aucune
sorte, l’accession au pouvoir par des moyens pacifiques, le rejet de la
violence pour se maintenir au pouvoir ou pour y parvenir.
L’après-« décennie noire », pour une nouvelle république
Le , il est de nouveau en Algérie. Sa candidature à l’élection présidentielle est annoncée trois jours plus tard.
Après une campagne électorale, menée à travers tout le pays, il se retire, le ,
veille du scrutin, en compagnie de tous les autres candidats, pour
dénoncer la fraude qui a déjà commencé et qui intronisera un président
mal élu. Abdelaziz Bouteflika sera élu avec une forte majorité.
Victime d’un infarctus, Aït Ahmed est transféré en Suisse à l’hôpital de Lausanne pour y être opéré. Après sa convalescence, il a repris toutes ses activités au sein du FFS.
Aït Ahmed poursuit son combat politique pour contribuer à sortir
l’Algérie de l'« omerta internationale » dont est victime le peuple
algérien. Il continue en effet à assumer ses responsabilités sur deux
fronts
à travers ses contacts et ses voyages à l’étranger, il poursuit
son travail diplomatique pour aider à sortir l’Algérie de l’ormerta
internationale ;
sur le plan intérieur, il continue son combat pour une solution
politique. Il participe étroitement à la direction du FFS dans le cadre
de ses prérogatives, il veille sur les traditions du débat démocratique
pour que la base militante joue son rôle moteur aussi bien à l’intérieur
qu’en direction de la société.
« Du temps de la France, l’Algérie, c’était le paradis ! »
Dans le numéro 248 () de la revue Ensemble7, organe de l’Association culturelle d’éducation populaire8, Hocine Aït Ahmed a déclaré : chasser les pieds-noirs a été plus qu’un crime, une faute car notre chère patrie a perdu son identité sociale. Il ajoutait : N’oublions
pas que les religions, les cultures juives et chrétiennes se trouvaient
en Afrique bien avant les arabo-musulmans, eux aussi colonisateurs,
aujourd’hui hégémonistes. Avec les pieds-noirs et leur dynamisme – je
dis bien les pieds-noirs et non les Français -, l’Algérie serait
aujourd’hui une grande puissance africaine méditerranéenne. Hélas ! Je
reconnais que nous avons commis des erreurs politiques et stratégiques.
Il y a eu envers les pieds-noirs des fautes inadmissibles, des crimes de
guerre envers des civils innocents et dont l’Algérie devra répondre au
même titre que la Turquie envers les Arméniens.
Hocine Aït Ahmed avait également dit en 19909 :
« Avant ? Vous voulez dire du temps de la colonisation ? Du temps de
la France ? Mais c'était le paradis ! Des fleurs, des fruits, des
légumes partout, des restaurants. Maintenant nous manquons de tout : de
crèches, d'écoles, d'hôpitaux, de dispensaires, mais le parti et la
police ont des immeubles neuf… La plus grande misère ici est
intellectuelle. »
Mort
Le , Hocine Aït Ahmed meurt à Lausanne, en Suisse, à l'âge de 89 ans10. Il est enterré le 1er
janvier dans son village natal, conformément à ses dernières volontés,
ses funérailles rassemblant près d'un million de personnes. Il était le
dernier membre encore en vie des neuf « fils de la Toussaint », les
chefs ayant déclenché la guerre d'Algérie11.
Publications
1964 : La Guerre et l'après-guerre (essai), Bouchene, réédition 2004 (ISBN291294693X).
Journal Dépêche de Kabylie, édition du 25 novembre 2007.
Émeutes et mouvements sociaux au Maghreb, Didier Le Saout et Marguerite Rollinde, édition Karthala 1999, (ISBN9782865379989), page 146.
Cité par Daniel Lefeuvre, L'Europe face à son passé colonial, éd. Riveneuve, 2008, p. 31.
Selon des renseignements qu'on trouve sur Internet et qui semblent remonter au site http://www.kabyles.net [archive],
l’Association Culturelle d’Éducation Populaire est une association de
Pieds-Noirs fondée en 1948 à Constantine par l’abbé Emmanuel Grima et
transférée plus tard à Montpellier.
Réponse
de Hocine Aït Ahmed à un journaliste du Figaro magazine en février
1990. Cité par Jean-Charles Jauffret et Charles Robert Ageron, Des hommes et des femmes en guerre d'Algérie, éd. Autrement, 2003, p. 551.
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